Quand on évoque les startups deeptech en France, on pense immédiatement à des projets à forte intensité technologique, issus de la recherche scientifique, souvent complexes mais à fort potentiel de rupture. Ces jeunes pousses ne suivent pas le parcours classique des entreprises numériques traditionnelles : elles évoluent à un rythme différent, nécessitent plus de capital, plus de temps pour atteindre la maturité technologique et commerciale, et s’ancrent généralement dans un écosystème de R&D très spécifique.
Pour répondre à leurs besoins spécifiques, l’État, via Bpifrance et d’autres partenaires institutionnels, a mis en place des dispositifs d’accompagnement sur mesure. L’aide au développement deeptech en phase de maturation est l’un des financements phares de cet arsenal. Elle cible les projets à l’interface de la recherche publique et de l’entrepreneuriat, pour nourrir un terreau fertile d’innovations de rupture Made in France.
Qu’est-ce qu’une startup deeptech ? Un rapide rappel
Avant d’entrer dans le détail de l’aide de maturation, posons brièvement le cadre. Une startup deeptech se différencie des autres par :
- Une innovation technologique de rupture, issue des laboratoires de recherche, souvent protégée par un brevet ou un savoir-faire difficilement réplicable.
- Un temps de développement et d’industrialisation plus long que la moyenne (souvent entre 5 et 10 ans).
- Un risque technologique élevé, lié à l’incertitude sur la faisabilité ou sur la mise à l’échelle du produit/service.
- Un besoin de financement conséquent dès la phase amont, ne serait-ce que pour valider les hypothèses scientifiques et construire un premier démonstrateur.
Dans ce contexte, l’État joue un rôle clé pour sécuriser les étapes les plus risquées du développement. L’objectif est simple : éviter que des innovations majeures ne restent dans les tiroirs faute de moyens, et renforcer la souveraineté technologique nationale.
À quoi sert l’aide au développement deeptech en phase de maturation ?
Le dispositif de maturation deeptech vise à soutenir les étapes charnières entre la preuve de concept (issue des laboratoires) et la création d’une startup commercialement viable. C’est une période souvent qualifiée de « vallée de la mort » pour les projets scientifiques ambitieux : trop technologiques pour intéresser les investisseurs traditionnels, mais pas encore assez prêts pour générer des revenus.
Concrètement, cette aide finance :
- Le renforcement de l’équipe projet et le recrutement de profils entrepreneuriaux (CEO, CTO, biz dev).
- Le développement de prototypes ou de démonstrateurs fonctionnels.
- Les études de marché, de faisabilité industrielle, et les prémisses de stratégie de propriété intellectuelle.
- Les dépenses de R&D encore nécessaires pour passer de TRL (Technology Readiness Level) 3 à 6, c’est-à-dire d’une preuve de concept à un prototype validé en environnement pertinent.
L’objectif final est de mettre le projet en position de se constituer en entreprise à fort potentiel, capable de trouver des investisseurs privés et de s’industrialiser à terme.
Qui peut bénéficier de cette aide ?
L’aide s’adresse principalement à deux types de porteurs de projet :
- Les laboratoires de recherche ou structures de valorisation (SATT, instituts Carnot, incubateurs deeptech, etc.) qui souhaitent transférer un résultat scientifique vers le monde économique.
- Les entrepreneurs en lien direct avec une technologie issue de la recherche publique, et qui souhaitent valider leur projet avant la création juridique de la startup.
Il est essentiel de noter que le porteur du projet doit démontrer un lien fort et prouvé avec une technologie protégée (brevets, savoir-faire…) issue de la recherche. Autrement dit, pas question ici de « software as a service » ordinaire ou d’applications mobiles classiques. Ce guichet est réservé aux projets qui s’appuient sur une innovation qualifiée de deeptech selon les critères de Bpifrance et de la Deeptech Alliance.
Quel est le montant financé, et sous quelle forme ?
L’aide à la maturation deeptech prend la forme d’une subvention non remboursable pouvant aller jusqu’à 90% des dépenses éligibles pour les projets portés par des laboratoires publics. Pour les projets menés par des entrepreneurs, l’aide peut monter jusqu’à 200 000 € et se compose souvent d’un mix entre subvention et avance remboursable, définis au cas par cas.
La sélection se fait selon plusieurs critères :
- La maturité technologique du projet (niveau TRL à l’entrée).
- Le potentiel de rupture et la protection existante de la technologie.
- La qualité et complémentarité de l’équipe projet.
- La viabilité économique à moyen/long terme (business model, marché, premier accès à la demande).
Quel parcours pour obtenir cette aide ?
Le processus commence généralement par une prise de contact avec un chargé d’affaires innovation de Bpifrance, une SATT ou un incubateur labellisé. Il permet de vérifier l’éligibilité du projet et l’adéquation entre la technologie, le porteur, et le stade de développement.
Un dossier est ensuite monté, comprenant :
- Une note de présentation du projet et de ses verrous technologiques encore à lever.
- Un plan de développement sur 12 à 24 mois avec budget associé.
- Des éléments de preuve sur la propriété intellectuelle ou la valorisation envisagée.
Les délais de réponse varient de 2 à 4 mois selon la complexité du projet et le nombre d’allers-retours nécessaires. Il est vivement recommandé de se faire accompagner par les cellules valorisation des universités, des DRI (Directions de la recherche et de l’innovation) ou des réseaux comme les SATT ou France Transfer.
Des exemples concrets pour illustrer
Un projet soutenu via cette aide est par exemple celui de DiamConcept, une startup issue du CNRS qui développe une technologie de production de diamants de synthèse par plasma. Grâce à l’aide deeptech obtenue dès la phase de maturation, l’équipe a pu finaliser un prototype semi-industriel et recruter un CEO expérimenté, avant de lever plus d’un million d’euros en amorçage.
D’un autre côté, la startup XSun, positionnée sur des drones solaires pour la surveillance environnementale, a également bénéficié de ce soutien dans ses premiers mois. L’accompagnement leur a permis de lever les verrous technologiques autour de l’autonomie énergétique, avant d’être soutenus par l’ADEME et d’initier une première phase d’industrialisation.
Pourquoi c’est stratégique pour la France ?
Derrière ce soutien à la deeptech, il y a un véritable enjeu de souveraineté technologique et industrielle. Soutenir ces projets, c’est anticiper les transitions technologiques de demain, dans des secteurs stratégiques comme :
- La santé (biotechnologies, dispositifs médicaux de précision).
- Les énergies (fusion nucléaire, stockage, hydrogène).
- L’agriculture (agritech, robotisation des exploitations, cultures in vitro).
- L’industrie (nouvelles formes de matériaux, intelligence artificielle embarquée, fabrication additive).
En 2022, Bpifrance a indiqué que plus de 500 projets deeptech avaient été accompagnés grâce à ces aides, représentant plus de 170 millions d’euros investis. Au-delà du montant, c’est l’effet de levier qui est stratégique : chaque euro public investi génère trois à quatre euros d’investissement privé dans les phases suivantes.
Comment maximiser ses chances ?
Quelques conseils pour les porteurs de projet :
- Soignez l’équipe projet. La technologie seule ne suffit pas : montrez que vous êtes capables de la transformer en produit et en entreprise.
- Appuyez-vous sur les réseaux existants (incubateurs deeptech, SATT, pôles de compétitivité).
- Travaillez en amont le transfert de technologie avec le laboratoire d’origine, notamment les aspects juridiques et de propriété intellectuelle.
- Soyez clairs sur votre roadmap : montrez que vous savez où vous allez, et à quelles étapes vous créez de la valeur.
Enfin, gardez en tête que la maturation n’est pas une fin en soi, mais un tremplin. L’objectif final n’est pas d’améliorer un PowerPoint ni de rester dans les murs du laboratoire, mais de créer une entreprise qui transforme la recherche en impact économique et sociétal réel. Avec l’aide à la maturation deeptech, vous avez en main un outil puissant pour franchir ce premier cap. Reste à bien s’en saisir.